mercredi 29 mai 2013

Une histoire de télénovela

Lorsque je pense au Venezuela, j'ai souvent eu l'idée d'un ménage un crise. C'est idée pourrait sembler quelque peu surréaliste. Pourtant, lorsqu'on regarde de près l'histoire politique et sociale vénézuélienne, on retrouve tous les indices pour expliquer et comprendre les cadres cliniques et psychopathologiques présents et qui pourraient confortablement se situer à un degré supérieur d'un scénario woody allesque. 
Une chose est sure: la polarisation est d'autant plus forte qu'il y a dix ans et la division idéologique a atteint son paroxysme.
Par où commencer l'analyse sans que les idées s'entremêlent et s'embrouillent ?, sans que les esprits se froissent ?, ou sans que ceux qui espèrent énormément du rêve ou qui croient fermement au mythe ne se sentent heurtés et qu'ils contestent par des attaques personnelles ?
On pourrait expliquer l'attrait que le chavisme a généré en Europe et dans d'autres pays occidentaux, à travers la thèse de la crise de la représentativité, maintes fois expliquée par les politistes et sociologues. Mon but ici n'est pas de la développer davantage. 
Effectivement, l'une des propositions les plus intelligentes, les plus admirables et les plus séduisantes du programme de gouvernement d'Hugo Chavez a été celle de la démocratie participative. Or, le principe de cette forme de démocratie, qui était celui de céder des espaces aux citoyens communs organisés pour prendre part à la vie et aux décisions politiques du pays, s'est transformé malheureusement dans un mécanisme de contrôle d'un Etat, dans ses débuts tout puissant et, aujourd'hui extrêmement dépendant de la bonne volonté de ses créanciers (toute nationalité et appartenance idéologique confondues). Le rêve d'un paradis au Venezuela n'est que cela, un rêve. De la même façon que la Cuba libre rassemble plus à une prison isolée du reste du monde. 
Malgré ce constat, il semblerait que la réalité ci-dessus décrite, continue à échapper à la perception de ceux qui se rendent sur les lieux et qui essayent d'étudier les deux systèmes politiques. Sur ce point, je rejoins complètement les arguments de la bloggeuse cubaine Yoani Sànchez. En effet, pour comprendre ces réalités il ne suffit pas de les analyser d'un regard extérieur, il faut les vivre et il faut les vivre au quotidien. Vivre les embarras que pose le problème du ravitaillement, du marché noir, d'un État où coexistent deux systèmes: un système officiel et un système parallèle ; de sorte telle que le citoyen se voit dans l'obligation de développer des mécanismes de défense extrêmement aigus afin de jongler en permanence avec les éléments nécessaires à sa survie, relevant de ces deux systèmes. Il faut également avoir subi les censures morales et d'expression imposées par un État répressif et toujours prêt à exercer une grande pression sur les médias. Il faut, en résumé, être le "citoyen" d'une république qui conditionne la possibilité de survie et les prestations sociales à une fidélité absolue, le condamnant à une situation permanente de vassalité.

Je reviens à ma première idée. Les citoyens issus des Républiques ont toujours eu la tendance d'observer leur patrie comme leur mère et les Républiques de l'Amérique Latine ne font pas l'exception. La plupart des noms données aux Républiques latino-américaines sont d'ailleurs féminins en langue espagnole : Argenitne, Colombie, Bolivie, Panama, Venezuela, Costa-Rica, Nicaragua, Guatemala....  
Par ailleurs, les mécanismes introduits pour donner naissance à l'Etat républicain moderne, ont été à peu près les mêmes qu'adoptèrent les élites politiques et intellectuels latino-américaines dans les différents modèles politiques qu'ils importèrent et qui ont été instaurés de l'autre côté de l'Atlantique. Ainsi, les théories mises en placer pour délégitimer les institutions religieuses et monarchiques, à travers les idées introduites par les philosophes qui défendaient l'idée du contrat social au XVIeme siècle. Mais aussi les réformes introduites au XIXe siècle à travers la promotion des lois sur la laïcité. 
Quelques fois, ces mécanismes furent introduits avec une certaine avance par rapport à l'endroit où ils ont été enfantés. Le Venezuela, par exemple, à vu naître le décret d'instruction publique, gratuite et obligatoire en 1874 et même une certaine loi, autour de l'année 1876, autorisant le mariage civil des prêtres. Tout ceci, bien entendu, n'a jamais véritablement atteint la totalité de la population. Par ailleurs, ces réformes n'ont jamais éprouvé, à la différence de l'Europe, la difficulté de se heurter à une opposition massive; ce qui s'explique par l'absence dans les pays de l'Amérique latine d'une bourgeoisie commerciale et industrielle forte. La division sociale répondant au XIXème siècle, pour le cas latino-américain, à une distinction entre les élites économiques possédant la terre et le pouvoir politique, et le petit peuple. 
La plupart des décrets de la fin du XIXe siècle ont donc eu pour finalité celle d'assouvir les intérêts d'une élite au pouvoir, habitant autour de la capitale et des principaux ports - car le moyen de communication par excellence était le transport maritime et fluvial.

Une révolution inscrite dans la continuité :


Le concept de révolution n'est pas nouveau au Venezuela. En réalité, nous avons connu plusieurs ruptures politiques importantes : 1864-1870, avec la guerre fédérale; 1899-1900, avec la révolution libérale restauratrice ou la révolution des andins; et 1928-1958 peut-être la plus longue et la plus interrompue, que je qualifierai de révolution démocratique. 
Cette dernière est extrêmement importante car elle a réussi à opérer une modification d'envergure dans le système politique vénézuélien. C'est d'ailleurs celle-ci qui fait la spécificité du système politique vénézuélien dans la région car elle a réussi à opérer la scission définitive entre le pouvoir militaire et le pouvoir politique. En effet, la révolution du 23 janvier 1958 et la constitution de 1961 ont posé le principe de la non-intervention des forces armées vénézuéliennes dans le processus décisionnel et dans la gestion de l'Etat. 
Malgré le sentiment de culpabilité renforcé par la crise du système bi-partisan qui a conduit à mettre l'accent sur le divorce opéré pendant la décennie des années 1980 entre les classes politiques et les classes populaires, les conducteurs de la révolution démocratique vénézuélienne ont été les premiers à intégrer les habitants des barrios - quartiers défavorisés du Venezuela - dans l'espace public, en les politisant et en leur fournissant les éléments nécessaires à s'organiser politiquement. Je renvoie ici à l'article de Serge Ollivier, "La démocratie au barrio : intégration politique et politisation dans les quartiers populaires de Caracas, 1958-1979" [en ligne], Le Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, 15 juin 2011, consulté le 25 mai 2013. URL: http://ipr.univ-paris1.fr/spip.php?article523. Cet article explique très clairement non seulement la genèse des organisations politiques de barrios vénézuéliens mais expose aussi certains éléments de la culture des barrios, fondamentaux pour la compréhension des enjeux politiques de nos jours. Je ne me permettrait d'ajouter à l'argumentaire de l'article en question un seul bémol. Il s'agit des confusions générés par l'adoption de la dénomination de Vème république pour définir le système politique introduit par Hugo Chavez et son parti en 1999, au Venezuela, et les conséquences qui en découlent. En effet, l'utilisation par défaut de la dénomination "IVème République" comporte quelques imprécisions. L'enjeux déterminant l'utilisation de l'un ou l'autre est l'opposition du régime politique antérieur, fondé sur la démocratie représentative - au régime actuel, introduisant la démocratie participative -. Pour approfondir mon argumentation, je reprendrai l'explication très pertinente donnée par l'avocat et docteur en science politique Ramòn Guillermo Aveledo dans son ouvrage La 4ta Républica, la virtud y el pecado. Una interpretaciòn de los aciertos y los errores de los aénos en que los civiles estuvieron en el poder en Venezuela (Caracas, Libros Marcados, 2007):


"Par une question de confort, ou d'instinct de survie, une quelconque intelligentsia de notre aurore révolutionnaire de fin de siècle si particulière a eu l'audace d'assimiler le changement politique en cours avec celui de la Vème République française. Celui-ci était le seul argument capable de justifier les mesures extrêmes et constitutionnellement forcées servant à sauver notre Patrie et ses libertés...
De plus, cela était tellement convenable, puisque la métaphore française permettait d'appeler MVR le parti qui ne pouvait en aucun cas être dénommé MBR. Cet empêchement étant expressément prévu par la loi car Bolivar, de même que les symboles nationaux, faisaient partie du patrimoine commun...
La IVème République a dû être appelée ainsi pour que la République actuelle devienne la Vème. Cette fiction conceptuelle a pu s'achever car l'on a définie les quatre périodes qui suivent : La Ière République du 5 juillet 1811, perdue avec les attaques de Monteverde... La IIème République, connue ainsi par l'effet d'une dénomination historiographique, car ce n'est nullement la façon politique adoptée à l'époque contemporaine pour couvrir la période qui va depuis le début de la"Campagne admirable", ...jusqu'à la confrontation avec le caudillo José Tomàs Boves... Cette période, connue également sous le nom de "La Guerre à mort", a été initiée par le décret bolivarien et se caractérise par l'atrocité d'une réalité marquée par le sang [versé de nombreux Vénézuéliens défendant une cause ou l'autre : la cause de l'indépendance ou la cause de la couronne. Le sociologue et historien Vallenilla Lanz explique qu'il s'est agit finalement d'une guerre entre Vénézuéliens].
La IIIème République serait celle constituée à Angostura et correspondrait à la fondation de la Grande Colombie, formalisée et concrété par la Carta de 1821...
Selon ces arguments, la IVème République correspondrait à celle qui marquerait la rupture avec le projet bolivarien. Une autre coïncidence convenable pour couvrir une période de cent-soixante-dix-huit ans, depuis le premier mandat de José Antonio Pàez (1830), jusqu'à la fin du deuxième mandat de Rafael Caldera (1998)...
[Mais] qu'est-ce qui marque [en réalité] la fin d'une république et le début d'une autre ? 
Si nous retenons le principe d'une nouvelle Constitution, les Vénézuéliens serions à notre XXVIème république et non pas à la Vème ! Si c'était la célébration d'une Assemblée constituante, nous serions à notre VIIème république, tout en nous permettant certaines simplifications juridiques. Or, si nous sommes plus rigoureux dans les critères, nous serions à notre XIIIème République.
Au Venezuela, il y a eu bel et bien des Assemblées, des congrès et des conventions constituantes bien avant 1999 : en 1858, en 1864, en 1893, en 1901, en 1904, en 1947 et en 1953 ! Mais il faudrait rajouter à ceux-ci le seul Congrès indiscutablement constituant, celui de 1811 et, pourquoi pas, celui qui a reconstitué la République en 1819 à Angostura. Matériellement, on devrait attribuer la même hiérarchie à celui de 1821, instaurant la Grande Colombie et celui de 1830, reconstituant le Venezuela. Mais il se trouve que les congrès de 1857 et celui de 1914 ont produit de nouvelles constitutions et ont invoqué directement le peuple lors de leur consécration, ayant de ce fait pris un caractère de Constituantes. Donc, treize républiques au total.
Au Venezuela, il y a eu la Guerre Fédérale. Cinq années d'horreur au bout desquelles les rebelles sont sortis victorieux et la Constitution de 1864 a proclamé l'existence d'une nouvelle république fédérale dénommée États-Unis du Venezuela. Mais tel événement n'est nullement un principe de droit suffisant pour marquer la fin d'une république et le début d'une autre. De même que ne l'est pas l'année 1958, pendant laquelle on a mis fin à la dictature par l'instauration de la démocratie. Enfin, ne l'est pas non plus la Révolution d'octobre 1945. Comme nous le voyons, la détermination de la fin et du début d'une République... relève de l'artificiel et de l'arbitraire...

Tout au long de notre histoire politique il est possible de constater que les enfants du Venezuela, des rebelles innés, se sont toujours rangés sur les files du prétendant capable de prononcer les mots les plus doux à l'égard de leur mère et de leur promettre à eux l'avenir le plus brillant !

Quant à la participation populaire, beaucoup de Vénézuéliens conservent toujours dans leur mémoire le souvenir du personnage de Malula, interprété par Marta Olivo, et représenté tous les lundis soirs à l'émission de télévision radio rochela: http://www.youtube.com/watch?v=_jQpzOBKwk4. Cette émission, diffusée sur RCTV, réunissait une série de sketchs abordant des thèmes politiques et culturels du Venezuela. Critiquée par la révolution bolivarienne à cause de la diffusion des sketchs à contenu moral de plus plus douteux, l'émission a arrêté ses transmissions dans le même temps que le président Chavez décrétait le non-renouvellement de la concession de la chaîne RCTV. 
Dans une société matriarcale d'un pays réputé pour avoir les plus jolies femmes du monde et de plus en plus penchée vers la culture de la consommation, il n'était peut-être pas un fait anodin que le programme intègre des sketchs reflétant une réalité nationale: des femmes se montrant de plus en plus dénudées, avec des jolies formes et des parodies de plus en plus présentes d'une société représentée de manière caricaturale. Probablement les critiques depuis toujours faites à l'encontre des élites politiques et des chefs d’État, ont pu exercer un rôle de détonateur dans la décision prise par le président Chavez. Le sketch que l'on voit sur le lien ci-joint est une parodie du Commandant Chavez. http://www.youtube.com/watch?v=kEcMt8dvsxk. Le personnage féminin du sketch, interprété par Nora Suarez, n'est autre que la caricature de Lina Ron, une dirigeante des barrios, engagée dans la révolution bolivarienne. Cette dirigeante est restée aux côtés du Commandant Chavez jusqu'à sa mort le 5 mars 2011. C'est elle qui a organisé les milices urbaines. Lina Ron incarnait vraisemblablement les aspirations politiques autrefois parodiées à travers Malula, dans leur version "rouge" et "bolivarienne"; je dirais, dans sa version chaviste. 
Plus parlant encore et signe de l'appartenance de cette émission à la culture populaire et à la mémoire collective est peut-être le fait que dans l'un de ses nombreux et interminables discours Hugo Chavez ait déclaré que Malula était socialiste.

Cette caractéristique de société matriarcale où dans la plupart des ménages, la figure paternelle est absente, pourrait expliquer également l'anxiété des Vénézuéliens pour trouver un encadrement masculin, la figure du bon père de famille, capable de gérer à la perfection les affaires administratives, politiques, éducatives, culturelles et de sécurité nationale, incarnée dans la figure du caudillo. Le culte du caudillo, expliqué magistralement par Carrera Damas dans sa thèse de 1969, El culto a Bolivar, semble être une pathologie très présente dans la société vénézuélienne. On observe à peu près les mêmes phénomènes et le même état d'esprit collectif dans documents historiques décrivant les cérémonies publiques de l'autocratie de Guzman Blanco, à la fin du XIXème siècle; la dictature de Juan Vicente Gomez (1908-1935) et, enfin, les  nombreux témoignages de nostalgie perezjimeniste [Marcos Perez Jimenez, dictateur du Venezuela de 1950 à 1958].

Hugo Chavez arrivait avec une nouvelle promesse, à laquelle les Vénézuéliens ont cru de toute leur force: le redressement du pays. Dans les nombreux entretiens réalisés par les médias nationaux et internationaux soucieux de connaître la ligne directrice de l'homme politique et auxquels Chavez a participé en tant que candidat, il a répondu invariablement aux diverses questions qui lui furent posées: Cuba était une dictature à laquelle le Venezuela ne ressemblerait jamais; lui-même croyait dans les idées de Marx mais il ne se définissait pas comme socialiste; il respecterait la propriété privée et encouragerait les investissements étrangers au Venezuela; et il ne demeurerait pas plus de 5 ans au pouvoir (https://www.youtube.com/watch?v=cvbdMg-X5GQ). Devant ces arguments et devant des arguments comme ceux de Noam Chomsky qui explique que, dans un modèle de démocratie idéale le président élu devrait être celui à qui la société organisée confie la responsabilité de développer et de mettre en oeuvre des projets par elle conçus, on voit mal comment justifier la démarche adoptée par Chavez une fois qu'il a été élu à la tête de l'Etat vénézuélien en 1998. 
Beaucoup d'intellectuels ont été séduits par le projet "bolivarien" - quand bien même il s'agit du projet de Chavez - car ils considéraient que celui-ci allait à l'encontre de la dictatures des élites établie dans les pays occidentaux. De ce fait, ils ont cautionné une aberration politique et juridique comme celle qu'a signifié la réintégration des militaires à l'espace politique Vénézuélien et aux institutions de décision de l'Etat. Une longue histoire des dictatures caractéristique des républiques latino-américaines issues des présences militaires au gouvernement suffisait comme antécédent pour s'opposer à cette présence. D'ailleurs, l'Europe offrait aussi des exemples similaires lors de la montée de nationalismes dans la première moitié du XXe siècle. Dire que les peuples ont la mémoire courte ne semble plus un bon argument. Dans le cas vénézuéliens,  les peuples sont devenus complètement amnésiques !
Ces intellectuels ont par ailleurs encouragé de manière irresponsable la permanence au pouvoir d'un homme politique autoritaire. Aveuglés par les traits humanistes et anti-impérialistes du discours d'Hugo Chavez, ils n'ont observé que le leader politique et le chef d'Etat, omettant de tenir compte des souffrances quotidiennes du citoyen moyen, qu'elles soient conscientes ou non. L'une de ces souffrance et l'indéniable obligation du citoyen moyen de se sentir éternellement redevable envers le Commandante pour avoir opéré le renforcement des systèmes d'éducation et de santé gratuits, quand bien même ces deux mesures constituaient les deux points principaux de son programme politique. Une obligation donc de l'élu envers ses électeurs et, par ailleurs, une obligation de l'Etat, financée avec l'argent public et les impôts payés par le peuple Vénézuélien.

Comme le montrent l'article de Serge Ollivier, d'une part, et l'histoire politique du Venezuela de l'autre, de même que le mécontentement croissant à l'égard d'une révolution échouée, les mécanismes d'organisation politique et sociale n'étaient pas totalement absents dans les secteurs populaires du pays. La majorité de la population vénézuélienne n'est pas conformée par des citoyens en besoin d'assistance. Bien au contraire, on observe la présence des groupes organisés en quête d'indépendance et de productivité dont l'origine passe souvent inaperçue aux yeux de l'observateur étranger. Le Vénézuélien moyen -et non pas que lui - se caractérise par sa créativité, par son envie de progresser et de réussir. Le nouveau caudillo aurait en quelque sorte profité de sa popularité et de son charisme pour établir progressivement une autocratie qui a aujourd'hui tous les traits d'un régime totalitaire. Chavez a su très bien comment s'y prendre. Naturellement séducteur par la parole, il aurait su comment faire la cour à cette chère République pétrolière du Venezuela.


Pourquoi Hugo Chavez n'a pas pu achever l'instauration d'un régime à la cubaine :

La lecture de l'article de Barry Carr, "Identity, Class, and Nation : Black immigrant Workers, Cuban communism, and the Sugar Insurgency, 1925-1934" ([En ligne], Hispanic American Historical Review, vol. 78, N° 1, Duke University Press Stable, Feb. 1998, pp. 83-116. URL : http://www.jstor.org/stable/2517379 [consulté le 4 janvier 2013]), nous a permis de repérer un certain nombre des angles d'inflexion entre la révolution cubaine et la révolution bolivarienne. 
Tout d'abord, le contexte historique et social : le moment historique de germination des idées révolutionnaires à Cuba est donné par le grand crash de 1929 et se trouve conditionné par la promotion d'un discours anti-impérialiste. La révolution cubaine s'appuyant sur un mode de production économique agricole et sur une majorité de main d'oeuvre d'immigrants haïtiens et jamaïcains. Par ailleurs, la présence de différences marquées entre ces deux groupes car les deuxièmes étaient pour la plupart, intégré par des gens lettrés.
La révolution bolivarienne semble, en revanche, obéir à un modèle importé directement de l'île. L'adoption de concepts méconnus auparavant au Venezuela et en fort décalage avec sa réalité sociale en fournissent la preuve. Ainsi, celui de la lutte ouvrière. En effet, il suffit de s'intéresser à l'histoire pétrolière du pays pour comprendre que la lutte ouvrière au Venezuela précède de loin la révolution bolivarienne. D'ailleurs, la société vénézuélienne s'est toujours représenté l'ouvrier des compagnies pétrolières comme celui qui avait accès à un plus grand nombre de bénéfices sociaux (je renvoie ici à l'extrait du documentaire "Reventon I et II" des archives audiovisuels du Venezuela, sous'titré au français par mes soins et mis en ligne sur ma chaîne youtube : "Le Venezuela pour les nuls - VOSTFR", URL: http://www.youtube.com/watch?v=7RhzvGDZMcU). 

Ce premier élément aiderait à expliquer comment une opposition mal nommée de "droite", toujours présente, a réussi à se fortifier et à rassembler un plus grand nombre de factions politiques et de la société civile, de plus en plus mécontentes et déçues des résultats de cette révolution.

Par ailleurs, l'apparition de l'industrie pétrolière au Venezuela a complètement bouleversé le panorama économique, politique, culturel et social du pays. Elle a permis notamment, la conformation d'une classe moyenne productive, le développement et la diversification des activités commerciales et privées. 
À partir de ce constat, je me permettrai de remettre en question les chiffres de pauvreté avancés dans les années 1980. Je me permettrai notamment de poser les questions suivantes: quels ont été les critères adoptés pour mesurer la pauvreté au moment de l'enquête ? Étaient-ils fondés sur l'accès à l'éducation, à la médecine et aux bien de consommation (alimentaires et de loisir) ? Ont-ils tenu compte de la totalité d'individus habitant au Venezuela et des différentes villes ou comme pour la plupart des études, ont-ils uniquement tenu compte de la population de la ville de Caracas ? J’apprécierai également voir ces différents critères confrontés aux conditions de vie actuelles des Vénézuéliens.
L"invisible quotidien" en effet ne peut être saisi par les enquêtes.
Ma recherche de M2 m'a permis de comprendre que cet "invisible quotidien" était bel et bien présent au Venezuela (Pour approfondir le concept de l'"invisible quotidien" voir Paul Leuilliot, cit. par Florence Descamps, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation,  Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, Ministère de l’économie, des Finances et de l’Industrie, 2005, p. 164).
Mon article "Implications politiques du chômage et de l'emploi précaire sur la santé des individus au Venezuela" publié dans la revue Medula, vol. 19, N° 1, janvier-décembre 2010 présente les résultats et conclusions auxquelles je suis arrivée à travers la distribution d'un questionnaire fermé aux habitants de la ville de Mérida durant l'année 2007. Les observations plus notoires étaient liés au fait que les Vénézuéliens voyaient de plus en plus réduites leurs activités de loisir et que le chômage n'était nullement lié à l'absence d'une activité productive, car la plupart d'individus continuaient à obtenir leur revenus d'activités relevant du secteur informel de l'économie. (Cet article est disponible en français sur ce lien: https://docs.google.com/file/d/0Bx_id4p4UzW0RlF6WlRTQXB6UmM/edit?usp=sharing). De ce fait, les Vénézuéliens étaient moins exposés ou moins enclins à souffrir de maladies liées à la dépression, car l'absence d'une allocation de chômage les conditionnait à trouver une activité leur permettant d'obtenir des revenus de subsistance - ce qui pourrait expliquer probablement pourquoi le livre guinness nous a considéré comme le peuple le plus heureux en 2007 -.
Concernant le monde du travail, on a pu observer que celui-ci a fait l'objet, depuis la fin des années 1970, de multiples métamorphoses. Le sociologue français Robert Castel définie cette nouvelle donne de la question sociale à travers le concept de "désaffiliation", ce qui signifie "absence d'inscription du sujet dans les structures qui portent un sens" (Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Fayard, Paris, 1995). Mon enquête relative à l'emploi précaire et au chômage au Venezuela, m'a permis d'arriver à la conclusion que la qualité de vie du Vénézuélien moyen ne s'était en rien améliorée avec les réformes introduites avec la révolution. Par ailleurs, la plupart des personnes se disaient stressées ou déclaraient avoir des perturbations de sommeil du fait de l'inflation et de la perte du pouvoir d'achat. Plus surprenant encore, la plupart ont déclaré que leur loisir préféré consistait à aller au supermarché pour faire des courses. La donne a extrêmement changé depuis puisque les Vénézuéliens se livrent aujourd'hui, de même que leurs premiers ancêtres - les indiens - à la chasse, la pêche et la récollection de fruits : une course affolé à l'approvisionnement des biens de consommation en ville.
L’année 1999 a été pour le Venezuela, une année de changements politiques et juridiques importants. Notamment, la promulgation d’une Loi Organique du Système de Sécurité Sociale Intégrale (LOSSSI) est dictée par l’élévation au rang constitutionnel du droit à la sécurité sociale, précisant les caractéristiques que devaient revêtir ce système. Le président élu, Hugo Chavez, leader du soulèvement militaire de 1992 dénonce le trait néolibéral de la réforme introduite par le gouvernement antérieur, de Rafael Caldera, en matière de Sécurité sociale. Les grandes lignes du premier Projet de loi présenté devant l’Assemblée ont été retenues. Toutefois, durant les années 2000 et 2002 se produisent plus de 30 versions législatives, jusqu’à ce que, finalement, le 6 décembre 2002, l’Assemblée Nationale sanctionne la Loi Organique du Système de Sécurité Sociale Intégral et, le 30 décembre 2002, on procède à sa publication en Journal Officiel. En ce mois de décembre 2002, le panorama politique dessinait une ambiance de conflit et polarisation. La grève première générale et indéfinie du secteur productif du pays avait été déclenchée sous l’impulsion la plus importante des industries vénézuéliennes : PDVSA (Pétroles du Venezuela). Ces événements ont été raison suffisante pour que les députés à l’Assemblée Nationale, représentant la faction politique d’opposition, quittent le lieu lors de la discussion du Projet de loi. Cependant, leur absence, n’a pas empêché les législateurs favorables à la faction politique au pouvoir de sanctionner la Loi en question. Grâce à cette loi le régime de sécurité sociale vénézuélien récupérait son caractère universel et solidaire, stipulant en outre, l’obligation, pour une certaine catégorie de personnes (celles possédant une certaine aisance économique), de contribuer au financement du système. L’apport le plus relevant concernait le Régime des prestations en matière de pensions de retraite et de vieillesse. Les articles 65 et 66 de la Loi, notamment, ont assuré le financement solidaire de cette prestation monétaire au moyen de cotisations à caractère obligatoire; prestation destinée à toutes les personnes jouissant ou pas du statut de salarié. La loi prescrit que cette pension est fixée par l’Etat, qui apportera en outre son aide éventuelle aux non-salariés lorsque leur cas le mérite. L’article 68 prévoit que le montant des cotisations est établie au moyen d’une Loi spéciale, et tiendra compte d’études financières et économiques pertinentes. Le plus important, ces pensions conservent une valeur réelle constante. Selon l’article 70, nul ne peut bénéficier de plus d’une prestation, sauf les cas déterminés expressément par la loi. Finalement, la LOSSSI a fixé un délai de 5 ans pour la mise en marche du nouveau Système de Sécurité sociale, bien que, au terme de celui-ci, les institutions que la loi prévoyait à ces fins n’avaient toujours pas été créées de manière physique.
L’opportunité de faire une deuxième enquête orale et, cette fois-ci ouverte, m’a été donnée à la fin de l’année 2006 lorsque, en tant qu'avocate, j’ai pris la charge de différents dossiers de la société commerciale Topaca, afin d’obtenir les pensions de retraite de ces intéressés. Au Venezuela il est très courant que pour toute démarche administrative, même quand il s’agit d’une première inscription à l’université, les gens soient obligés de faire des queues interminables, qui durent toute la journée. Ils arrivent en général, à partir de 4 heures du matin, afin de s’assurer d’être assistés par un fonctionnaire. À la différence des comportements que peuvent se produire en France où la règle générale invite les gens à se plonger dans la lecture et, dans le meilleur de cas, à échanger seulement quelques mots, l’idiosyncrasie des Vénézuéliens, rend possible une espèce de camaraderie, qui se crée de manière spontanée et pousse les gens à intimer pour l’attente moins longue. C’est justement cette expérience qui m'a fait remarquer l'importance des sources orales dans toute recherche. En discutant avec les gens, je me suis aperçue que beaucoup s'étaient munis de faux papiers qu'un ami « employeur X » leur avait fournis afin de pouvoir certifier de leur statut de salarié et s'inscrire ainsi dans le Régime de prestations de retraite, bien que la relation de travail ait été purement fictive. Pour la plupart, ils avaient travaillé toute leur vie dans le secteur « informel », sans avoir jamais réussi à décrocher un contrat de travail, ou bien, ils avaient démissionné ou avaient été licenciés, donc fini en mauvais termes leur relation avec leur ancien et véritable employeur. Certains touchaient déjà une pension de retraite versée par l'Etat, très moindre certes, et prétendaient quand même au bénéfice universel du minimum vital que promettait la nouvelle LOSSSI. Finalement, la réforme du système de Sécurité sociale, introduite avec la loi de 2002, cherchant à apporter une solution au problème du grand nombre de gens qui avaient été écartés du système de sécurité sociale dans le passé n’a pas tenu compte des pratiques sociales.  Ce que j’ai le plus retenu de cette expérience, c’est qu’elle traduisait bien les enjeux politiques et économiques qui ont caractérisée l’évolution historique de l’institution : rupture, conflit de classes et difficulté d’adaptation des mécanismes adoptés par la législation du travail pour assurer le plein emploi et les bénéfices qui découlent du contrat de travail, notamment ceux qui concernent la prévoyance sociale : allocation chômage, maladie et retraite. Enfin, il faut noter qu'une autre mesure prise par l'administration du gouvernement révolutionnaire et bolivarien a été l'assimilation improvisée des occupations relevant du secteur économique informel à celles du secteur économique formelle.

L'accès à la technologie constitue un autre élément qui différencie les deux processus révolutionnaires - cubain et vénézuélien -. Toutefois on observe, pendant les quatre dernières années que des mécanismes de censure commencent à faire leur apparition au Venezuela. Au-delà de la fermeture de la chaîne RCTV et des impositions légales à l'égard des médias par l'application de la "Ley mordaza", sanctionnée en novembre 2004, les menaces de plus en plus imminentes de supprimer l'accès à certaines chaînes "câblées" ou à certains sites internet; ou de faire en sorte que l'accès à ceux-ci devienne pénible, en ralentissant par exemple les connexions des ménages ou avec le rationnement du service d'électricité quand bien même le Venezuela possède les moyens et les ressources pour la prestation d'un service d'énergie renouvelable.

Nonobstant, ces deux révolutions ont beaucoup d'éléments communs (hormis les multiples dénonciations de l'ingérence cubaine au Venezuela) : 1) L'introduction des mêmes mécanismes de contrôle social et étatique (milices, communes, service communal obligatoire, contrôle de change...); et d'autres moins visibles à première vue : censure, intimidation, peur, envahissement des affaires relevant de la sphère publique dans la vie privée, anéantissement de l'individu, forte réduction des activités de loisir.... 2) La surpression de l'alternance politique. 3) La censure idéologique. 4) La censure des médias. 5) Le conditionnement de la participation politique et de la survie à une fidélité absolue au régime officiel. 6) Le fait que tout l'appareil de l'état condamne progressivement toute forme de dissidence et leurs auteurs à la mort civile. 


Refoulement, déni, exaspération et paranoïa collective :

Les événements récents du Venezuela pourraient s'expliquer à partir des expériences individuelles de la vie familiale. Ceux qui ont toujours été critiques à l'égard du régime instauré par le dernier caudillo du XXème siècle vénézuélien se frottent les mains, comme le ferait la belle famille de la fiancée ayant épousé celui que tous considéraient comme le plus mauvais prétendant.

Plus compliqué encore est l'expérience de ceux qui ont cru et qui ont misé tous les espoirs sur une promesse inachevée. Cette expérience s'avère d'autant plus traumatisante que celui qui a promis devient une figure absente. Le tableau se complique lorsque ce dernier, avant de disparaître physiquement, nomme un héritier naturel qui se permet de prendre la relève en évoquant sans cesse l'image de son prédécesseur et appelle ses fidèles partisans à rendre hommage à la mémoire du caudillo disparu, à "tenir le coup". Ceux qui se trouvent dans ce cas de figure, sont prêts à tout endurer afin d'honorer la mémoire de l'absent, de lui manifester publiquement et malgré l'absence, leur fidélité, leur loyauté; quand bien même bon nombre d'années se sont écoulées sans qu'on arrive aux résultats espérés: la promesse d'un espace croissant de la sphère publique pour la citoyenneté confronte une réalité marquée par une réduction flagrante des initiatives individuelles qui n'encadrent pas dans les mécanismes de contrôle définis par la "révolution bolivarienne". C'est le déni de l'échec.
Mais encore plus dangereux sont les symptômes de refoulement, que certains définissent aussi comme conformisme. Or il n'en est rien car cela est beaucoup plus complexe. Comme Yoani Sanche l'explique, cela correspondrait plutôt à la mise en fonctionnement d'un mécanisme de défense ou à un instinct de survie.
Le refoulement et le déni, présents et visibles aussi dans certaines crises traversées par les individus dans leur vie familiale et privée sembleraient correspondre aux même phénomènes psychologiques qui se manifestent lors du divorce. 
Lorsqu'un ménage est en crise, souvent, on fait le choix de ne pas trop en parler, de peur que la rupture ne devienne imminente. L'angoisse que produit en tout être humain l'acceptation de l'échec est multipliée à la n lorsque celui-ci se produit à l'échelle sociale et lorsque ce sont les élites politiques placées à la tête de l'Etat qui doivent assumer la responsabilité de cet échec.
S'en suit donc l'exaspération sociale et la paranoïa collective dans une société qui est en outre, fortement polarisée, à la différence de la société cubaine qui elle, est plutôt soumise et où le degré de difficulté des actions dissidentes est beaucoup plus élevé.


Conclusion: 
Difficile de fermer l'histoire ou le chapitre d'une histoire en pleine effervescence. Seul l'avenir tranchera et donnera raison aux voix critiques de la révolution d'Hugo Chavez. 
On a souvent reproché au peuple d'avoir la mémoire courte. Les événements produits au Venezuela depuis 1999 en fournissent la preuve. Mais le vrai problème n'est pas tant celui-ci comme la responsabilité qui revient nécessairement aux journalistes et aux chercheurs, dans la diffusion d'un message biaisé ayant une forte incidence sur l'opinion publique.

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