jeudi 27 février 2014

La révolution médiatique?

Dans une crise comme la Vénézuélienne, plusieurs forces convergent à une vitesse telle qu'il est difficile d'y voir claire et d'analyser pertinemment leur portée. Je vois apparaître de nouvelles questions en essayant d'identifier, dans le même temps, les acteurs qui pourraient éventuellement en tirer le meilleur profit. Les Vénézuéliens sont arrivés à un état tel d'accablement que beaucoup sont prêts à sortir dans les rues pour exiger les droits qui leurs sont garantis par la Constitution nationale depuis plus de dix ans piétinés, même si pèse sur eux la menace de se faire tuer ou de sortir blessés. L'on voit de nombreux jeunes faire des barricades dans les rues des principales villes, mais il ne faut pas oublier que depuis plus de trois ans ce sont aussi les syndicats des travailleurs de l'industrie du fer, les enseignants, les petits fonctionnaires qui, en voyant les bénéfices inhérents à leur situation professionnelle amoindris, se révoltent. Obligés à assister aux meetings politiques du parti socialiste uni vénézuélien (PSUV), contrôlés, harcelés, leur condition est devenue précaire et instable. Par ailleurs, de plus en plus de familles sont touchées par la mort violente d'un proche.

L'attention que les médias portent aux manifestations des civiles (étudiants-classes moyennes-société civile organisées et nouvelles alliances avec certains secteurs des classes populaires) et à la répression exercée par l'Etat et les milices urbaines porte sur la question de savoir pourquoi les gens manifestent. L'on pourrait déjà citer trois exigences concrètes :
  1. La mise un place d'un plan de sécurité nationale efficace.
  2. L'ouverture d'une procédure judiciaire à l'encontre des hauts fonctionnaires accusés de corruption et de détournement des fonds publics ; qui serait la suite logique que dans tout régime démocratique serait donnée aux dénonciations présentées par les députés de la "mouvance parlementaire" auprès de l'Assemblée nationale.
  3. La mise un place d'un plan économique durable et efficace, afin de subvenir au ravitaillement des produits des premiers besoins la population vénézuélienne.
En début de l'année, Maduro avait convoqué les leaders politiques de l'opposition à un dialogue afin de tenter d'y apporter des réponses à ces demandes. Ce dialogue n'a pas répondu aux objectifs prétendus. En revanche, il a donné l'occasion à Maduro de se livrer à proférer des attaques et des injures contre tous ceux qui auraient douté de sa légitimité et/oiu critiqué son gouvernement.
Depuis l'année dernière une campagne médiatique s'est engagée au niveau international pour dénoncer la pénurie alimentaire que subissent les Vénézuéliens, accentuée outre-mesure depuis l'année 2012. Auparavant, toute dénonciation faite à l'encontre du socialisme du XXI siècle était considérée, aussi bien au Venezuela qu'à l'étranger, comme une atteinte à la souveraineté du peuple vénézuélien, un mensonge pro-impérialiste et pro-américain, ou comme faisant partie d'une campagne négative orchestrée par les Etats-Unis. L'on donnait difficilement crédit aux témoignages apportées par les rescapés de la révolution bolivarienne. Toute dénonciation mettant l'accent sur la mise en place progressive d'un régime autoritaire qui avait créé les plus dangereuses alliances internationales et qui semait la discorde entre des citoyens issus tous d'un même pays, d'une même culture et attachés au même sentiment national, était mise en question. Très rarement on a entendu parler des guérillas urbaines vénézuéliennes crées en 1998 par le chavisme dans les médias à l'étranger. Était-ce une raison d'intérêt économique ? Le Venezuela représentant un bon débouché pour le marché d'armement ? C'est probablement une question-réponse car je ne vois pas d'autre explication apparaître clairement. Mais très probablement, cela obéissait à une stratégie encore plus complexe.

Le premier reportage à peu près sérieux sur le Venezuela que j'ai regardé à la télé fut celui de Caroline du Saint, réalisé pour l'émission Spécial Investigation et intitulé "Hugo Chavez, le grand mensonge". Il fut diffusé le 8 octobre 2012 sur Canal +. Il fut enregistré durant la campagne des élections présidentielles du 7 octobre 2012. L'on sait que l'état de santé d'Hugo Chavez était déjà fortement diminué à cette époque et que tôt ou tard la fatalité finirait par le rattraper et mettre fin à son parcours politique. Ce reportage démarre en mettant en avant les chiffres de la violence et la manière dont a été mise sur pied une supra-structure financée par l'argent du pétrole qui a donné la stabilité nécessaire à l'ancien chef d'Etat pour tenir les rennes du pouvoir durant 14 longues années.


La question qui se pose à la vue de ce documentaire est évidente. Pourquoi et comment, de façon tout à fait soudaine, le héros de la révolution bolivarienne, le bienfaiteur des peuples, le nouvel espoir des mouvements d'extrême gauche de l'Amérique latine et de l'Europe, loué et admiré de tous, est devenu un dictateur, "un grand mensonge" ? Était cela en rapport direct avec l'état terminal du cancer que les médecins ont diagnostiqué à Hugo Chávez en 2008 ? Il est évident que le chavisme sans Chávez n'était plus une garantie de stabilité du régime, que beaucoup de négociations prendraient de nouvelles formes et que grand nombre d'acteurs ayant participé au grand mensonge, tant au niveau intérieur qu'au niveau international, se précipiteraient à exiger une nouvelle part du gâteau.

Les secteurs démocratiques de la société vénézuélienne - y compris ceux du chavisme - avaient exprimé leur préoccupation de voir échouer la démocratie au Venezuela dès l'année 1999 (lorsque Chavez a souhaité introduire des réformes profondes dans les institutions vénézuéliennes et son économie). Dès l'année 1998 on a dénoncé la création de milices armées dans le territoire vénézuélien et on a pointé du doigt les relations douteuses de Chavez avec les FARC. Dès l'année 2004, certains ont averti des risques qu'impliquaient le rapprochement de Chavez avec l'Iran et la Libye. Mais ce n'est qu'au moment où la mort de Chavez est imminente que les médias internationaux se décident à dévoiler son côté autoritaire. Plus grave encore, l'on valide, sans se poser plus de questions, la thèse du coup d'Etat orchestré par la CIA en 2002 et on s'y appui, pour expliquer un supposé changement de l'état d'esprit du président vénézuélien et le revirement de son action politique.

Ce "coup d'état" que je mets encore entre guillemets tant les interrogations en suspens sont nombreuses et les faits non éclaircis tentent d'être expliqués à travers une sorte de script préétablit. Comme la mort du Président Kennedy en 1963 et comme tant d'autres événements politique, ce chapitre de l'histoire politique vénézuélienne demeurera probablement à jamais sans réponse.

Par ailleurs ce documentaire, comme tant d'autres moyens qui ont fait le choix de retracer l'historique des événements du 11 au 13 avril 2002, parle d'un mouvement spontané des masses populaires qui a réussi à faire revenir le président Chavez au pouvoir. Il ne faut pas être diplômé en science politique pour savoir qu'aucun mouvement de masse n'est spontané. Qu'ils sont tous influencés et encouragés d'une manière ou autre par des factions politiques à travers les médias, des discours, ou des appels au secours. Comme d'autres intellectuels Vénézuéliens avant moi, on ne peut voir dans ces événements du 11 avril 2002 qu'un travail d'épuration interne nécessaire pour donner cours à cette expérience du socialisme du XXIe siècle.

On parle souvent de laboratoire en science politique. Je suis de plus en plus convaincue que c'est ce qui a été mis en place au Venezuela dans le but d'avoir le contrôle sur les richesses pétrolières, minières mais aussi, sur un territoire géographiquement stratégique pour un autre type d'industrie de tout point de vue condamnable : celle de la drogue ; et incontournablement celle des armes.

Lorsque les médias ont commencé à s'intéresser au Venezuela et à son régime politique, j'ai souvent entendu parler du besoin de mettre en place "des débats dépassionnés", entre chercheurs et académiciens, spécialistes de la question. Néanmoins, les sympathisants du régime proposé par Chavez que j'ai souvent entendu parler assumaient rarement la position objective tant espérée. À la place d'un débat "dépassionné", ils exprimaient de manière évidente leur attachement à une idéologie de la gauche latino-américaine appréhendée de façon très souvent romancée, sans proposer une véritable réflexion sur les conséquences économiques que ce système finirait par avoir sur la stabilité du pays. Très souvent, ces défenseurs du socialisme du XXIe siècle affichaient une prétendue légitimité en s'appuyant sur le fait d'avoir passé de trois à six mois dans un barrio populaire pour réaliser une étude de terrain. Très souvent aussi, sans préciser s'ils avaient habité sur les pentes de ces barrios ou au sommet des collines, car il faut savoir que dans les barrios de Caracas, construits sur les collines de la ville, c'est sur les pentes que ça se passe le mieux... En effet, qui peut savoir ce qui se passe dans les coins les plus refoulés d'un espace inexploré ? Ils considéraient que leur avis s'attaquait au cœur du problème : une société polarisé par des différences idéologiques.

On a entendu ainsi, dans l'émission présentée par Daniel Schneidermann, arrêt sur images, intitulée Chavez gouvernait avec un micro devant les caméras (URL : http://www.dailymotion.com/video/xy1yu4_chavez-gouvernait-avec-un-micro_news), Mme. Jeannette Habbel, maître de conférences à l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine, prendre position sur la question en s'attaquant aux classes moyennes vénézuéliennes et en exprimant un avis positif sur le socialisme du XXIe siècle ; exception faite, bien entendu, des relations de Chavez avec les pays non-alignés. Sauf que, comme je le dis dans un autre post de ce même blog, ce sont souvent les classes moyennes qui constituent le maillon à partir duquel un Etat est capable de créer la richesse nationale (URL : http://mariaauzcateguimoncada.blogspot.fr/2014/02/a-lopinion-publique-et-tout-public.html). Si bien l'argument utilisé par Mme. Habbel quant à l'accès aux chaînes d'information internationale est vrai car pratiquement tous les vénézuéliens ont accès aux chaînes câblées, y compris dans le barrio le plus pauvre où les gens se débrouillent pour avoir le signal ; il n'est pas moins vrai que les conditions de vie des Vénézuéliens se sont considérablement dégradées depuis 2008. S'il est vrai qu'il existait au Venezuela, dans les années 1980, beaucoup de pauvreté, il n'est pas moins vrai que le pourcentage de marginalité n'a cessé d'augmenter durant les 14 années du régime chaviste et que les classes moyennes vénézuéliennes se sont considérablement appauvries. S'il est vrai que beaucoup d'opposants au régime chaviste appartiennent à la classe moyenne, ils ne font pas tous partie pour autant de la bourgeoisie commerciale tant dénoncée par Chavez, car cette bourgeoisie a depuis bien longtemps cessé d'avoir la forme qu'elle avait : la plupart des investisseurs ayant quitté le pays, c'est une nouvelle élite économique connectée au pouvoir politique de l'Etat et, par conséquence, à Chavez, qui a pris la relève. S'il est vrai que Chavez était le bien aimé des pauvres, il n'est pas moins vrai que le mécontentement s'est répandu aussi dans les secteurs populaires, notamment durant les quatre dernières années. Ce sont toutes ces raisons qui me permettent donc d'affirmer que finalement ces "spécialistes  de la question" ne pouvaient qu'apporter une vision très romancée de la révolution bolivarienne - comme ce fut le cas pour tant d'autres révolutions de l'extrême gauche latinoaméricaine -, affichant ainsi un parti pris dans l'analyse d'une société où ils oubliaient de prendre en considération des facteurs historiques et économiques. À partir de là, il était donc logique de laisser passer inaperçues certaines variables de grand poids dans l'engrenage et dénouement de la crise vénézuélienne.

C'est ainsi que l'un des plus sinistres personnages du Chavisme, M. Diosdado Cabello, l'un des hommes les plus riches du pays - si ce n'est de la région - apparaît comme un personnage secondaire alors que de toute évidence, il semblerait jouer un rôle de la plus grande importance. Exerçant le contrôle d'une partie importante des forces armées, il fut au centre des dénonciations parvenues de son même camp le signalant comme le promoteur de sociétés fantômes d'importation. D'où provient sa fortune ? Quel rôle jouera-t-il dans le dénouement de cette crise ? M. Diosdado Cabello, aujourd'hui président de l'Assemblée National, qui avec le plus grand cynisme a ridiculisé les interventions des députés de l'opposition dans l’hémicycle, a accusé tout opposant de traître, d'apatride et de fasciste à la télévision nationale, s'est aussi empressé d'accompagner et de veiller personnellement à la sécurité de M. Léopoldo Lopez, leader du parti de l'opposition vénézuélienne "Voluntad popular", situé à la tête des manifestations pacifiques du 12 Février 2014 et incarcéré sous l'ordre de Maduro. Je ne peux que me demander quelles garanties ont les Vénézuéliens qu'un personnage aussi pervers, qui a empoisonné son propre mouvement politique et qui s'est livré à des actes flagrants de corruption par le biais de noms anonymes et de sociétés fantômes, soit réellement jugé ? Même chose pour d'autres hauts fonctionnaires maintes fois dénoncés par abus de pouvoir et détournement d'argent.

Cela fait un an que je vois que des organisation de "résistance civile" travaillant via les réseaux sociaux se sont attelées à faire circuler des vidéos qui montrent comment on renverse un dictateur. Sur leurs pages facebook et comptes twitter, ces groupes parlent sans cesse des printemps arabes et offrent des consignes pour former les barricades. Ce qui confirme une fois de plus qu'aucun mouvement social n'est spontané comme les médias veulent le faire croire. Anthony Giddens le montre bien d'ailleurs dans l'un de ses ouvrages. Plus d'une dénonciation contre le gouvernement de Chavez a été présentée auprès de la Cour internationale de justice de la Haye pour violation des droits de l'homme mais rien n'a jamais été fait. Est-ce un hasard si aujourd'hui on s'est décidé à présenter une dénonciation auprès du Conseil de sécurité de l'ONU contre Maduro, Carmen Teresa Melendez Rivas (Ministre de la défense nationale) et Miguel Rodrìguez Torres (Ministre de l'Intérieur et de la Justice) ? Et pourquoi uniquement ces trois acteurs de la scène politique vénézuélienne ? À qui profiterait leur anéantissement ?

Comme par hasard tout ceci se produit au moment où arrive à terme la crise Ukrainienne et les médias se mette à parler d'un Venezuela situé "à l'ombre de l'Ukraine" : (URL : http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Daniel-Cohn-Bendit/Sons/A-l-ombre-de-l-Ukraine-le-Venezuela-1810297/?fb_action_ids=10203301030305441&fb_action_types=og.recommends&fb_source=other_multiline&action_object_map=%7B%2210203301030305441%22%3A679698202073276%7D&action_type_map=%7B%2210203301030305441%22%3A%22og.recommends%22%7D&action_ref_map=%5B%5D ).

Pourquoi après avoir laissé ce régime semer la graine de la violence en créant ces milices, avoir tant attendu pour inviter sur un plateau de télé des personnalités pouvant donné un avis vraiment dépassionné et objectif du Venezuela, en accord avec la réalité ? L'intervention de Mme. Fregosi sur la chaîne France 24 constitue la preuve qu'il existe, au niveau international, des véritables spécialistes de la question vénézuélienne. Il existe bel et bien des spécialistes capables d'expliquer le Venezuela de manière réellement dépassionnée et d'aller au-delà de la simple polarisation idéologique. Il existe bel et bien des spécialistes capables de maîtriser des variables ajustées à notre société et à son histoire politique, de tenir compte de tous les secteurs qui l’intègrent et de ne pas se limiter à expliquer uniquement la réalité des barrios. Je peux comprendre que les barrios attirent par leur exotisme mais le Venezuela n'enferme pas cette seule réalité. Il est aussi malhonnête de prétendre expliquer la réalité du pays à travers ce prisme que de prétendre l'écarter pour construire un projet d'Etat. Pourquoi avoir tant attendu pour les inviter à une émission de télé ?



Je suis incapable de prévoir ce qui peut arriver au Venezuela à la fin de cette crise. Comme beaucoup de chercheurs vénézuéliens je ne peux que dire que "je ne suis pas futurologue". Mais les possibles solutions à cette crise maintes fois annoncée depuis bien trop longtemps, et que l'on a laissée germer, mijoter et s'accroître, sont désormais de plus en plus réduites. Convoquer à de nouvelles élections pour élire des nouveaux membres au Parlement et un nouveau gouvernement ? Beaucoup de Vénézuéliens considèrent encore que c'est Henrique Capriles qui a remporté les dernières élections et que Maduro détient aujourd'hui le pouvoir de manière illégitime et frauduleuse. Comment faire confiance alors au Centre National Électoral et à Tibisay Lucena qui n'a jamais su faire preuve d'impartialité et a mis en évidence son attachement au régime en place ? Est-ce nécessaire la surveillance d'un arbitre, comme Mme Fregosi le laisse entendre ? Dans ce cas, quel arbitre serait le plus adéquat ? De mon point de vue, deux forces supranationales - assez connues de tous : les États-Unis et la Russie - mobilisent des moyens pour donner forme à ce conflit. Comme Vénézuélienne, je ne souhaiterait pas qu'une situation comme celle de l'Ukraine apparaisse et pourtant, tout semble être mis en place pour qu'une situation semblable se reproduis. C'est dans notre intérêt que le pays revienne à la calme mais nous ne pouvons plus accepter un régime autoritaire et corrompu. L'idéal serait donc qu'une autre grande puissances faisant partie des cinq membres permanents de l'ONU prenne position, et fidèle au rêve qui lui a permis de se construire à elle même et à sa tradition républicaine, puisse servir de médiatrice avant que ce conflit ne dégénère encore plus.

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