dimanche 19 mai 2013

Le printemps au Venezuela se déroule entre pénurie, violence et militarisation

Les événements vénézuéliennes des dernières semaines dessinent un paysage politique marqué par un appel à la calme, au travail, à l'entente et à la paix lancé par Nicolas Maduro au milieu d'un climat qui continue à être caractérisé par les tensions sociales, la pénurie et désormais la militarisation des principales villes vénézuéliennes.

L'appel à la paix de N. Maduro s'est accompagné d'une déclaration réalisée lors de l'acte de remise de logements sociaux à Barinas, selon laquelle il affirme avoir identifié les 900.000 compatriotes "chavistes" (y compris avec leur numéro de carte d'identité) qui n'auraient pas voté pour le projet politique qu'il représente, ce qui aurait déterminé le peu d'écart entre lui et Capriles aux résultats des dernières élections :

La pénurie des principaux biens de consommation (aliments et papier toilette) est la préoccupation majeure des Vénézuéliens. Il semblerait néanmoins agir comme un écran de fumé. D'autres actions politiques ont été entreprises afin de tenter de calmer les esprits. Ainsi, les mesures annoncées par le Ministre Iris Varela pour "humaniser" les centres pénitentiaires de Caracas (http://tv.noticias24.com/video/videos/mirar/18760); le dialogue entamé avec M. Mendoza, PDG des entreprises Alimentos Polar; l'annonciation par Maduro de l'imposition de paiement des logements sociaux accordés aux familles vénézuéliennes à travers la "mission vivienda" et, finalement, l'audit partiel et défaillant des résultats électoraux du 14 décembre entrepris par le Centre National Électoral, sans que les cahiers de votation aient été vérifiés. Le gouvernement révolutionnaire du Venezuela aurait réussi, encore une fois, à détourner l'attention internationale et vénézuélienne de la question primordiale des libertés publiques et du respect des droits de l'homme.

En effet, la militarisation des principales villes du pays pose la question de savoir si cette mesure a été bel et bien prise dans l'intérêt de protéger la sécurité des citoyens contre des actions violentes et contre la délinquance, ou bien, s'il s'agit tout simplement d'une précaution gouvernementale pour contenir la révolte sociale imminente et apaiser :
                          Le Venezuela au bord de la guerre civile
Dans cette vidéo il est possible d'apercevoir une concentration de rue qui aurait eu lieu le 16 avril 2013 et aurait été dispersée par la peur des actions répressives de la Garde Nationale Bolivarienne.

Comme l'a fait remarquer le sociologue vénézuélien Briceño Leon, l'impact de cette mesure pourrait bien au contraire aller à l'encontre des intérêts de la citoyenneté.

Entre rumeurs de révolte sociale et la peur du déclenchement d'une guerre civile les factions d'opposition de la société civile vénézuélienne tentent des actions légales internationales afin d'obtenir la réparation des souffrances infligées par les forces de l'ordre à la suite des dernières élections.

À croire certaines vidéos circulant récemment sur les réseaux sociaux malgré la date de leur publication, dénonçant les tortures des reclus dans les centres pénitentiaires vénézuéliens (https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=1ARFZvJOuvc du 17 mai 2011 et une autre: https://www.youtube.com/watch?v=ipfqXTa4y8k du 6 décembre 2012), les membres de la Garde Nationale vénézuélienne ne feraient pas de cadeau dans le traitement infligé aux détenus. Devant ces images comment douter de la véracité des témoignages des étudiants détenus à Barquisimeto, Caracas, ou d'autres villes importantes du Venezuela lors des événements du 16 avril 2013 ?

Selon les dernières déclarations du président Maduro du 18 mai 2013, la révolution continue et appelle à la paix et n'admettra pas de nouveaux désordres ou de nouveaux bouleversements (ci joint, la vidéo en VOSTFR):
                           
Ces déclarations commencent par des graves accusations contre Antonio Ledezma et les membres de l'opposition vénézuélienne. Ledezma, ancien maire de Caracas et représentant de l'opposition pour le parti traditionnel Action Démocratique, s'est effectivement déplacé aux Etats-Unis (où résident, d'après le recensement américain 125.000 Vénézuéliens, étant la plus grosse communauté d'immigrants après les Cubains et les Colombiens habitants dans ce pays).

Depuis 2005 il s'est opéré, vraisemblablement et peut-être bien pour la première fois de notre histoire politique, une émigration en masse des Vénézuéliens issus des classes moyennes, qui résultent les plus affectés par les différentes crises politiques, la polarisation et la progressive dévaluation de la monnaie nationale. Ils résident notamment en Espagne, aux Etats-Unis et au Canada, mais aussi dans beaucoup d'autres pays, y compris l'Australie. Cette émigration répond à la diminution de la qualité de vie au Venezuela, visible pour tout travailleur moyen dépendant d'un revenu mensuel. Il ne s'agit pas tout simplement d'une position contestataire des élites vis-à-vis de la révolution. Force est de constater que la propagande des régimes totalitaires réussi dans bien des cas à tromper l’œil critique de ceux qui désirent réviser les résultats des révolutions socialistes, en promotionnant uniquement une partie de programme de développement développés et en déguisant une réalité beaucoup plus décevante tendant à l'échec, laquelle s'avère finalement incontournable.

Au Venezuela, l'aggravation de la situation économique est facilement constatable à travers les chiffres de la violence, de mal-nutrition (notamment par l'obésité) et de désertion scolaire de jeunes adolescents. La  dévaluation monétaire expérimentée durant les sept dernières années est la conséquence directe d'un contrôle de devises étrangères, de l'anéantissement de la production nationale et du basculement dans une économie d'importation de biens élaborés. Elle avait été tempérée par l'introduction du "Bolivar fuerte" en 2007. Inexorable en début de l'année 2012, le "paquetazo" ou la prononciation du gouvernement intérimaire de N. Maduro en janvier 2013 ne pouvait qu'admettre le malaise ressenti depuis bien longtemps déjà par les Vénézuéliens : celui d'être le pays de la région avec le taux d'inflation le plus élevé. Dans le même temps, une dévaluation supérieure au 20% a eu lieu (Voir en ce sens l'étude très complète d'Asdrubal Oliveros, "Crecimiento, inflaciòn y tipo de cambio en Venezuela, [En lìnea], Encuentro de Organizaciones Sociales, Venezuela, 2012, URL:  http://www.eosvenezuela.info/wp-content/uploads/2012/02/oliveros.pdf, consulté le 19 mai 2013).

Pour revenir à cette mini-tournée internationale des représentants de l'opposition, certains membres des factions critiques de la révolution bolivarienne, se sont rendus, en effet, dans d'autres villes importantes du continent (ainsi Leopoldo Lopez et Eduardo Gòmez Sigala sont partis pour Lima, et pour Buenos Aires. La député Maria Corina Machado se voyant dans l'obligation de remettre à plus tard sa visite en Colombie suite aux coups reçus à l'Assemblée Nationale le 30 avril 2013). Ils avaient pour mission dénoncer la fraude du 14 avril. Ils en ont dénoncé également les violences commises contre les députés de l'opposition à l'Assemblée Nationale le 30 avril. Le gouvernement a bien évidemment démenti ces informations en argumentant qu'il s'agissait d'un coup monté pour déstabiliser le pouvoir. La version des faits donnée par les députés de l'opposition a été diffusée quelques heures après, sur la chaîne privée globovision. La transmission en direct a été interrompue par une transmission en "cadena" du président N. Maduro dans un acte officiel. Le lendemain l'on diffusait la version du gouvernement à travers une vidéo éditée et recoupée que l'on a retransmis également à travers une émission fort critiqué (y compris par les sympathisants d'Hugo Chavez) sur la chaîne de l'Etat (La Hojilla). L'on remarquera sur la vidéo ci-dessous (VOSTFR) la présence de l'un des agresseur (un grand homme bien fort habillé avec une veste tricolore) aux côtés du député du Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV), Pedro Carreño:

Maduro a accusé dans son discours l'ancien maire d'avoir été complice des massacres qui eurent lieu au Venezuela en 1989, connues sous le nom du Caracazo. Toutefois, ces accusations ne trouvent pas un fondement tranchant si l'on tient compte du fait que durant cette même année Ledezma était député à l'Assemblée Nationale et ce n'est qu'en 1992 qu'il est désigné par l'ex-président Carlos Andrés Pérez comme gouverneur de l'ancien District fédéral du Venezuela. Ledezma, élu maire de Caracas en 2008, réalisa en 2009 une grève de la faim auprès de l'Organisation des Etats Américains afin de contester contre les décisions gouvernementales réduisant énormément le budget de la Mairie.

Nous pouvons remarquer que le discours de Nicolas Maduro tombe à nouveau dans la contradiction d'un encouragement à la pacification du pays et au rassemblement tout en prônant la nécessité du combat. Des accusations de "fainéantise" sont confortablement lancées contre les leaders de l'opposition, que Maduro et ses partisans qualifient dans leur intégralité comme appartenant à "la droite fasciste", quand bien même, comme tous les Vénézuéliens le savent, c'est l'Etat qui redistribue et détient les ressources financières pour déclencher les programmes d'éducation, de santé et de construction de logements. Ces affirmations sont donc quelque peu déplacées.

Dans un extrait de discours de 5 minutes et 24 secondes, on entend Maduro répéter à neuf reprises le mot fasciste/fascisme et y mettre l'accent, tout en laçant un avertissement général au peuple du Venezuela. Le concept est par ailleurs fort mal employé. Il convient de rappeler que le fascisme est notamment une pratique d'Etat, orientée à la domination de la société à partir d'un ensemble bien articulé d'informations versant sur l'identité nationale, le sentiment patriotique et national et la supériorité raciale dans le but de configurer un pouvoir fort opposé à tous ceux qui pensent différemment et représentent un risque pour la stabilité des élites politiques au pouvoir et le système politique en place. Mal pourrait-il correspondre à une opposition qui réuni en son sein des factions tout aussi bien de droite que de gauche, ainsi que des syndicats et des membres de la société civile.

Enfin, l'occasion de la mise en pratique de son "gouvernement de rue" a donné lieu à de nouveaux affrontements entre les opposant et le nouveau président du Venezuela. Ainsi, dans la journée d'hier on a dénoncé à l'Etat de Tachira, près de la frontière entre le Venezuela et la Colombie, l'arrestation de plusieurs personnes révoltées. Ainsi, deux jeunes (Carlos y Karla Parra, de 19 et de 24 ans respectivement) qui "casseroleaban" - faire des protestations en faisant sonner des casseroles - depuis le balcon de leur logement - ils ont été libérés par la suite -; et un pharmacien, José Beltran Benitez - toujours détenu -, qui serait intervenu pour défendre sa fille de 16 ans qui "casserolaba" depuis l'intérieur de leur pharmacie, contre les agressions dont elle aurait été l'objet et qui auraient été déployées par l'un des escortes de Maduro. (http://globovision.com/articulo/liberan-a-dos-jovenes-detenidos-en-la-grita-durante-acto-de-maduro).

Devant cette évidence nous rejoignons le questionnement de Briceño Léon à propos de l'efficacité de cette mesure et nous nous interrogeons sur la véritable teneur du traitement humain que reçoivent les détenus dans les prisons vénézuéliennes.

2 commentaires:

  1. Cela fait plaisir de trouver un blog en français sur le Venezuela. Je me sentais tout seul depuis mon site...
    Toutefois, certaines précisions : bien que Maduro ait choisi de militariser les villes pour "lutter contre la criminalité", il faut souligner un petit pepin : ceci est illégal. D'après la Constitution, seul la Garde Nationale et la Police ont le droit d'intervenir pour garder la paix citoyenne. Sauf, bien évidemment, que nous soyons en état d'exception (ce qui n'a pas été annoncé). Un petit détail dans un pays où les lois sont brisées en permanence par le gouvernement (j'ai beaucoup écrit à ce sujet).
    Salutations,
    vinz

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    1. Merci de partager avec moi cette remarque importante! Il est en effet important de ne pas laisser passer aucun détail. Bien à vous,
      Maria

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